Les grandes figures de l’église St Bruno

Saint Charles Borromée et le Cardinal de Sourdis. Le cardinal de Sourdis, émule de saint Charles. La chartreuse de Bordeaux et l’hôpital Saint-CharlesBorromée.

Saint Charles Borromée et le Cardinal de Sourdis

Saint Charles Borromée (1538-1584) était le fils de Marguerite de Médicis,sœur du pape Pie IV (Jean-Ange de Médicis, 1499-1565), et du comte Giberto Borromeo, d’Arona près du lac Majeur. Son oncle le fit cardinal à 22 ans, en1560, et le chargea d’organiser la tenue du concile de Trente, réuni pour la troisième fois en 1562 ; ce qu’il fit jusqu’à la clôture définitive de celui-ci en janvier 1564. Pie IV le nomma alors archevêque de Milan et, après la mort de ce pape, survenue en 1565, il ne quitta plus son diocèse, prêchant d’exemple,jeûnant, célébrant la messe chaque jour, dépouillant, sauf à l’église, tout l’apparat habituel aux évêques à cette époque. Il restaura la discipline du clergé et celle des fidèles dans ce diocèse tombé dans l’anarchie, depuis quatre-vingts ans que ses archevêques n’y résidaient plus ; il favorisa l’action des ordres religieux;bref, il assura le succès de la Contre-Réforme dans sa province et écarta de la haute Italie la menace du protestantisme. Milan devint le modèle de toutes les autres églises.

Il mourut dans la nuit du 2 au 3 novembre 1584. Il n’avait que46 ans, mais il était épuisé par une vie de travail et d’ascèse. Il fut enterré d’abord, comme il l’avait demandé, devant le chœur de la cathédrale de Milan, sous une simple dalle où avait été gravée une épitaphe composée par lui. Le peuple accourut en foule pour vénérer sa mémoire. Des miracles se produisirent. Le corps fut alors transporté dans le Scurolo, chapelle souterraine située sous le chœur, qui fut aménagée par l’architecte Francesco Maria Richini en 1606 (1).

Dès 1601, sur le conseil du cardinal Baronius(2), des manifestations de vénération publique avaient été organisées aux jours anniversaires de sa mort sans attendre sa canonisation, qui fut prononcée le 1er novembre 1610 par le pape Paul V.

L’Église vit en lui, écrit Émile Mâle, « le type parfait de l’évêque de la Contre-Réforme. Elle sentit qu’il était la réfutation du protestantisme, car personne plus que lui ne crut à l’efficacité des œuvres » (3) (4). On connaît son dévouement aux pestiférés de Milan et toute sa vie il se dépensa en faveur des malheureux. A la suite du concile de Trente, il réaffirma contre les protestants les sept sacrements, la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, le culte de la Vierge et des saints et celui des images. Il attacha une grande importance aux rites de célébration de la messe, régla par le menu les cérémonies liturgiques et dressa la liste du mobilier indispensable aux églises.

En France, dès le début du XVIIe siècle, le cardinal de Bérulle, François de Sales, Monsieur Olier, Vincent de Paul et de nombreux évêques : François de La Rochefoucauld, Alain de Solminihac, qualifié de«San Carlo Borromeo de France», et d’autres invoquèrent le patronage borroméen pour conduire leurs réformes pastorales, tout en infléchissant la pensée du saint et ses enseignements dans le sens du particularisme gallican (5).

    Le cardinal de Sourdis, émule de saint Charles

De tous les prélats français, l’un de ceux qui manifestèrent le plus vif attachement pour saint Charles et le plus sincère enthousiasme pour son action réformatrice fut François de Sourdis. Grand seigneur d’origine poitevine, cardinal depuis 1598, il devint à 25 ans archevêque de Bordeaux et tint son premier synode le 18 avril 1600. Il se rendit alors à Rome, où il séjourna de septembre 1600 au 27 mai 1601, époque où l’Italie célébrait les vertus de saint Charles en vue de sa canonisation.

Chapelle de saint Charles Borromée à la cathédrale Saint-André de Bordeaux

    Il y retourna en 1605 et c’est alors que le cardinal Sfondrato, Milanais et neveu du pape Grégoire XIV, lui confia le rochet (6) que portait saint Charles en 1569, lorsque Girolamo Donato, dit il Farina, religieux de l’ordre des Humiliés (Umiliati), lui tira dans le dos un coup d’arquebuse, alors qu’il était en prière dans sa chapelle privée. La balle traversa l’étoffe du rochet mais s’écrasa contre la peau sans la blesser, miracle qui eut un grand retentissement. Pour le chanoine Jean Bertheau, secrétaire et biographe de François de Sourdis, le cardinal Sfondrato jugea « qu’il ne pouvait mieux consigner ce sacré dépost qu’entre les mains de celuy qui, honorant la mémoire de ce grand sainct, en imitait la vie » (7) . Comme l’écrit le P. Bernard Peyrous : « Ce geste était chargé de tout un sens symbolique. Sourdis devenait un autre Borromée, et Bordeaux prenait ainsi les dimensions d’un nouveau Milan» (8).

En 1605, Sourdis rencontra aussi à Rome Federico Borromeo, cousin de saint Charles et son deuxième successeur sur le siège archiépiscopal de Milan (9). Lors de son voyage de retour en France, il s’arrêta à Milan et pria longtemps sur le tombeau du saint. Revenu à Bordeaux, il encouragea dans son diocèse le culte de celui-ci et la diffusion de ses ouvrages. Il entreprit la construction d’un couvent de Chartreux et d’un hôpital sous le vocable de saint Charles. En 1615, il imposa, pour l’instruction des futurs prêtres, des«conférences ecclésiastiques», imitant en cela saint Charles qui avait créé à Milan des «congrégations locales ». Cette même année 1615, c’est lui qui eut l’honneur de marier le roi Louis XIII et Anne d’Autriche.

Jean Bertheau insiste sur la parenté spirituelle existant entre saint Charles Borromée et François de Sourdis. Toute sa vie, le second prit modèle sur le premier, dans la mesure où le caractère du grand prélat français issu de la noblesse pouvait se plier à la douceur et à l’humilité du saint. Il s’efforça de faire appliquer dans son diocèse la législation tridentine et post-tridentine et d’imposer cette fidélité à la pratique sacramentaire et aux cérémonies liturgiques que recommandait saint Charles. Au cours de ses visites pastorales, il veillait à ce que les églises de son diocèse fussent en bon ordre : «Il visitait le saint sacrement de l’autel, les autels de l’église, les saintes huiles, les fonts baptismaux, les saintes reliques, les images, les ornements, l’église, la fabrique de celle-ci et remarquait les défauts pour y pourvoir »(10).

La chartreuse de Bordeaux et l’hôpital Saint-Charles Borromée

Nous savons par son biographe que François de Sourdis avait une prédilection pour l’ordre fondé par saint Bruno. C’est donc une chartreuse,« œuvre de Roy », qu’il entreprit de bâtir (11). Certains pensaient « que M.le Cardinal n’en viendroit jamais à bout, que c’estoient des desseins qui gèleroyent en bouton» (12). L’idée de cette fondation venait d’un religieux chartreux, dom Ambroise de Gascq, qui y consacra tout son héritage dès septembre 1605. Mais ce fut François de Sourdis qui mena l’œuvre à bien.

Les travaux exigèrent l’assèchement du vaste marais qui s’étendait à l’ouest de la ville et furent conduits rapidement. Le 22 juillet 1611, l’archevêque de Bordeaux posa la première pierre de l’église conventuelle, où il désirait être inhumé. Le 29 mars 1620, il procéda à sa consécration et la dédia à Notre-Dame de Miséricorde, à saint Charles Borromée et à saint Bruno. A cette date, l’hôpital Saint-Charles, destiné aux malades incurables, était déjà achevé. Les premiers religieux emménagèrent en janvier 1621. Ils étaient une vingtaine en 1631 (13).

François de Sourdis leur confia la garde des deux précieuses reliques du saint : le rochet à l’église Saint-Bruno et la barrette cardinalice à l’hôpital Saint-Charles.

Anne LOMBARD-JOURDAN

La relique du rochet de saint Charles Borromée

(1) Les dispositions pour l’enterrement de saint Charles Borromée ont inspiré le Cardinal de Sourdis qui demandera que son cœur fût déposé sous une simple dalle de marbre noir à l’entrée du chœur de la cathédrale Saint-André. Quant au reste de son corps, le cardinal avait demandé qu’il fût enterré sous le chœur de l’église Saint-Bruno. Son tombeau a malheureusement été vandalisé lors de a révolution et il ne subsiste rien de sa dépouille. (ndlr).

(2) Cesare Baronio (1538-1607), bibliothécaire de la Vaticane et auteur des Annales ecclesiastici.

(3) Émile MALE, L’art religieux de la fin du XVIe, du XVIIe et du XVIIIe siècle, 2e éd., Paris, 1951, p. 87.

(4) En 1577 parurent à Milan les Instructionum fabricae et supellectilis ecclesiasticae libri II, composés sur l’ordre de saint Charles et qui donnaient les règles à suivre dans la construction des bâtiments et la fourniture du mobilier des églises. Voir E. Cecilia VOELKER, «Borromeo’s Influence on sacred Art and Architecture», dans San Carlo Borromeo, op. cit., p. 172-187. Le confessionnal, importé de Milan en France à partir du début du xviie siècle et toujours présent dans les églises jusqu’au fond des campagnes, est encore l’héritage du pastorat borroméen.

(5) Paul BROUTIN, La réforme pastorale en France au XVIIe siècle, Paris-Tournai, 1956; Bernard PLONGERON, « Charles Borromée, exemple et modèle. Son influence en France (XVIe-XIXe siècle)», dans San Carlo e il suo tempo, op. cit., I, p. 493 sq. ; Marc VENARD, « The Influenceof Carlo Borromeo on the Church of France », dans San Carlo Borromeo, op. cit., p. 208-227.

(6) Le rochet est un vêtement liturgique réservé aux évêques. C’est un surplis de toile fine et blanche qui se porte par-dessus la soutane et descend jusqu’aux genoux. Il est souvent orné de dentelles et de broderies.Le rochet de saint Charles, relique insigne, est conservé aujourd’hui à la cathédrale Saint-André.

(7) Jean BERTHEAU, éd. P. CARAMAN, dans Archives historiques du département de la Gironde, t. 49,1914, p. 66.

(8) Bernard PEYROUS, La Réforme catholique à Bordeaux (1600-1719). Le renouveau d’un diocèse, 2 vol., Bordeaux, 1995,1.1, p. 123-124.

(9) Federico Borromeo (1564-1631) était le fils de Giulio Cesare, frère de Giberto Borromeo, lui-même père de saint Charles. Il succéda en 1595 à Gaspar Visconti sur le siège archiépiscopal de Milan. C’est lui qui fonda la Biblioteca Ambrosiana en 1602 et la .Pinacoteca en 1621. Il apparaît dans le roman historique d’Alessandro MANZONI (1785-1873), Ipromessi sposi, trad. fr. par Armand MONJO, Les fiancés, Paris, 1982.

(10) Bernard PEYROUS, « La réforme institutionnelle de l’archidiocèse de Bordeaux au temps du cardinal François de Sourdis (1599-1628) », dans Revue d’histoire ecclésiastique, t. 76,1981, p. 19. Voir aussi A. DEGERT, « Saint Charles et le clergé français », dans Bulletin de littérature ecclésiastique, 1912, p. 145-149 et 193-213.

(11)  Il ne faut pas la confondre avec la première chartreuse, construite à Bordeaux en 1383 et dite couvent « des Chartrons »: Histoire de Bordeaux, Charles HIGOUNET, Robert BOUTRUCHE éds., t. IV. Bordeaux de 1453 à 1715, Bordeaux, 1966, p. 390.

(12) J. BERTHEAU, éd. cit., dans Archives historiques du département de la Gironde, t. 51, 1916-1917, p. 65 et 146 ; B. PEYROUS, La Réforme catholique à Bordeaux, op. cit., p. 362 sq.

(13) Leur nombre ne devait jamais dépasser celuide vingt-quatre religieux de chœur. Voir Bernard GUILLEMAIN et Raymond DARRICAU, « Les deux chartreuses successives de Bordeaux », dans La naissance des chartreuses. Actes du Colloque international d’histoire et de spiritualité cartusiennes, Grenoble, 12-15 septembre 1984, Grenoble, 1986, p. 371-399

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